Bey.Ler.Bey, Mauvaise langue
Comme personne ne se refait de ses propres tares, Bey.Ler.Bey a traîné longtemps sa mauvaise langue sur cette pile de disques consacrée à l’entassement méthodique des mille projets journaliers dévolus à la rencontre avec la musique du monde et les traditions millénaires ; cette pile qui promet dépression et absurdité dans le concert commercial des ’’musiques actuelles’’ et ses concepts savoureux d’afro-computer-fusion-jazz (je mets le copyright, au cas où). Et béh c’était fort stupide, le disque déchire. Et l’on pourrait, pétri d’audace, s’aventurer à affirmer qu’il pète des culs.
La formation en trio n’est pas des plus communes : accordéon (Florian Demonsant), clarinettes (Laurent Clouet) et percussions (Wassim Halal au darbuka, bendir et daf). Mais il faut dire que le propos ne l’est pas plus, fourmillant d’idées au poil faisant toujours la part belle aux dialogues féconds entre les musiciens, chaque membre du groupe n’ayant de cesse de stimuler la création collective et l’écoute à travers un équilibre touffu entre désordre et harmonie d’ensemble. ’’Aphone’’, longue et complexe, fait ainsi s’alterner des passages authentiquement free avec des superpositions de registres magnifiquement goupillée, tel le quasi drone de l’accordéon confronté aux rythmiques traditionnelles des percussions de Wassim Halal, lorsque ce n’est pas la clarinette qui se saisit de mélodies à la simplicité transie et belle.
A l’écoute répétée mille fois – et c’est toujours meilleur – de Mauvaise Langue, on se trouve stupéfait de la nouveauté du propos, qui offre un cheminement musical aussi transparent que réfléchi dans une démarche qui ne conceptualise jamais et qui étonne par la liberté et l’énergie parfois punk du trio. Ca danse, ça gueule, on s’extasie. Confère l’introduction de ’’Jacasseries’’, qui ne vise pas à proprement parler le consensus mais bouleverse d’entrée de jeu par la complexité d’un discours, dans cette langue que tout le monde connaît quoiqu’ils soient les premiers à la parler. Les quatre titres confectionnés par ces émirs des émirs (le sens de Beylerbey au bon temps de l’empire ottoman) s’imposent comme la promesse rassérénante et excitante d’une démarche musicale véritablement nouvelle, et invite à faire un sort à leurs talents individuels et collectifs qui méritent une renommée plus large, ainsi qu’au collectif Çok Malko dans son ensemble pour être juste.
En attendant cette bonne fortune qu’on souhaite au trio ainsi qu’à la justice en musique, Mauvaise Langue offrent 45 minutes de magie et d’émerveillement, sans se départir jamais d’une honnêteté et d’une maîtrise admirable. Bey.Ler.Bey, c’est très fort et ça fait du bien. J’en veux encore !
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